LES ENTREVUES ITALBEC

Quel est votre métier?

Je suis designer intérieur. Lorsque j'ai obtenu mon diplôme du Collège Dawson vers la fin des années 80, j'ai commencé à travailler dans ce domaine. Tous les architectes concevaient les espaces commerciaux comme les centres commerciaux, les espaces publics et les marchés alimentaires. Lorsque j'ai commencé à travailler pour Camdi Design, ils ont réalisé des projets de vente au détail. C'était rare à l'époque, car le design intérieur avait toujours été axé sur les propriétés résidentielles. J'étais une designer junior et j'ai appris à planifier et à concevoir toutes ces petites concessions alimentaires dans le Faubourg Ste-Catherine. Ceci a été mon premier grand projet de vente au détail. J'ai également tout appris sur l’aménagement commercial des espaces communes et les commerces de détail alimentaires. Ensuite, nous avons commencé à concevoir de nombreuses rénovations de centres commerciaux. A partir de ce moment, mon domaine principal a été la conception de centres commerciaux et de supermarchés pour la majeure partie de ma carrière.

Comment avez-vous réussi la transition entre le fait de travailler pour quelqu'un et le fait d'avoir votre propre entreprise?

Lorsque je travaillais pour Camdi, j'étais la partenaire avec la plus petite part de l'entreprise. Une partie de ma responsabilité était d'apporter des opportunités d'affaires. Cela ne m'a jamais été étranger. Je m'étais engagée à faire une longue carrière chez Camdi et j'aimais vraiment travailler dans cette entreprise. Lorsque la récession a frappé en 1991, ils ont dû se restructurer et cette restructuration ne me convenait pas.

J'avais développé certaines opportunités et j'ai fini par terminer les contrats sous la bannière de Camdi et j'ai facturé mes services en tant que contracteur. Cependant, tous ces clients continuaient de revenir à moi parce qu'ils ne connaissaient personne d'autre dans l'entreprise. Ils ne connaissaient que moi. Donc, ils sont éventuellement devenus mes clients.

Quel âge aviez-vous lorsque vous avez commencé à travailler comme designer intérieur?

J'ai commencé à être designer à 20 ans. J'ai travaillé neuf ans chez Camdi Design. Pendant cette période, j'ai beaucoup appris. Je les remercie pour tout ce que j'ai appris car ils m'ont vraiment formé en tant que designer. J'ai travaillé avec des collègues qui, aujourd'hui, sont tous des designers qui réussissent très bien par eux-mêmes. Ensuite, j'ai créé ma propre entreprise à 29 ans.

Selon vous, quel impact le COVID a-t-elle ou aura-t-elle sur le design intérieur?

Bien, c'est une grande question car il y a tellement de facettes différentes dans le design intérieur. Dans le domaine du design résidentiel, le marché n'a jamais été aussi actif car la majorité des gens se focalisent sur leur maison.

Dans le monde du design au niveau du commerce de détail, tout s'est arrêté brusquement.

En raison de la COVID, les gens aiment le magasinage en ligne. Je crois sincèrement que les gens apprécient toujours l'expérience du magasinage en boutique. Maintenant, est-ce que cette expérience doit être bonne? Oui.

Les centres commerciaux du marché intermédiaire vont-ils souffrir? Oui. Il existe des propriétés de valeur qui seront réaménagées à un autre usage. Ce sera probablement à des fins résidentielles car le marché était déjà trop saturé. Nous étions déjà à ce stade avant la COVID, où les achats en ligne commençaient à prendre une place importante.

Il y aura toujours une place pour les magasins de détail. Par contre, la crème de la crème survivra. Ce qui se passe actuellement dans notre secteur, ce sont les promoteurs immobiliers qui possèdent les propriétés de ces grands centres commerciaux et qui commencent à envisager de les réaffecter et de les réaménager pour un usage mixte.

Les commerces vont-ils améliorer l'expérience du client?

Absolument. La tendance est de revenir à l'idée d'un mélange de divertissement, d'activités familiales et de magasinage en un seul endroit. Nous ramenons également les commerces de type 'mom and pop' sous forme de boutiques 'pop-up'.

À quoi attribuez-vous cette énorme différence entre un centre commercial à Montréal et à Toronto?

Tout d'abord, il faut être dans le bon marché. Toronto est l'une des villes les plus riches en Amérique du Nord; les gens ont beaucoup d'argent. Montréal n’a pas la démographie et le nombre de personnes ayant cette somme d'argent pour soutenir le commerce de détail haut de gamme.

Montréal n’a pas la démographie et le nombre de personnes ayant cette somme d'argent pour soutenir le commerce de détail haut de gamme.

Le centre commercial Yorkdale, quant à lui, se classe probablement parmi les cinq meilleurs centres commerciaux en Amérique du Nord. Ce centre commercial fait plus d'argent par pied carré; bien plus que les grands centres commerciaux des États-Unis. Toronto a également des marques nord-américaines qui arrivent en premier.

Maintenant, si nous regardons La Baie, c'est une entreprise qui n'a jamais abordé l'expérience du magasinage. Le grand magasin ne peut plus avoir huit étages, comme ce que nous avons dans le centre-ville de Montréal. Il pourrait être conçu sur trois étages et il faudrait vraiment éliminer toutes les marchandises diverses. Ils doivent décider de leur identité et se concentrer sur la marchandise qu'ils veulent vendre.

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans ce que vous faites?

J'aime le fait qu'il y a un début et une fin à chaque projet. J'aime aussi pouvoir me rendre aux projets sur lesquels nous avons travaillé dans le passé et voir ce que nous avons réalisé.

Aussi, quand nous avions des environnements particulièrement mauvais et que nous les transformions en de très beaux environnements, le comportement des gens changeait, ce qui est incroyable!

Quel est votre type de projet préféré?

Lorsque j'étais jeune, je pensais devenir architecte plutôt que designer intérieur. Ensuite, j'ai pensé que c'était peut-être trop technique pour moi, mais j'aimais vraiment les grands espaces architecturaux. En fait, je trouve que c'est plus ma tendance naturelle de travailler avec des grands espaces.

Je suis dans le secteur des supermarchés depuis longtemps et j'aime concevoir des marchés. J'aime aussi tout ce qui concerne le commerce de détail alimentaire. Après tout, je suis une passionnée de la gastronomie!

Quels sont les principaux projets que vous avez aimés réaliser?

Nous avons réalisé un nouveau concept pour les supermarchés Metro depuis environ 8 ans; j'adore ce projet.

J'ai vraiment aimé la rénovation du Centre Rockland en 2006. J'étais la première personne à mettre du bois sur des colonnes de cette façon et c'était tellement attirant. Dès que nous avons réalisé ce design, tout le monde a suivi cette approche. Nous avons réussi à donner un aspect si élégant et intemporel.

J'ai également eu l'occasion de concevoir un centre commercial à Qatar, situé au Moyen-Orient. J'ai adoré ce projet, car j'ai réalisé toutes sortes de designs que je n'aurais jamais eu l'occasion de faire ici. Nous avons conçu des puits de lumière en forme de prismes, des rampes blanches avec du métal plaqué et de magnifiques détails personnalisés ; ce fut une expérience formidable.

Prévoyez-vous des changements dans la façon dont vous allez concevoir un centre commercial?

Suite à la COVID, je pense qu'il s'agit d'améliorer l'expérience globale des clients dans un centre commercial. Maintenant, les gens deviennent créatifs en matière du service à la clientèle. Par exemple, nous pouvons créer un bureau central où le client peut apporter ses articles à retourner et le préposé s'occupe du retour. De cette façon, le client n'aura pas à faire la file dans la boutique. Il faut également proposer des aliments de meilleure qualité dans la foire alimentaire, où les gens auront vraiment du plaisir à manger. Tout est repensé pour offrir une meilleure expérience au consommateur.

Quels sont les défis que la COVID vous a apportés, non seulement en tant que designer intérieur, mais aussi en tant que propriétaire d'une entreprise?

Mes plus grands défis étaient le facteur yo-yo du travail, le maintien d'un certain niveau de travail et le fait de ne pas savoir quand celui-ci allait revenir.

Ce que je pensais être un défi, mais qui ne l'a pas été, a été de passer du travail au bureau à celui à la maison. En une semaine, mon équipe et moi étions prêts, car nous avions déjà un serveur central. Tout ce que nous avions à faire était d'installer des VPN et nous étions en mesure de travailler de la maison. La transition s'est faite presque sans difficulté. Si la COVID avait eu lieu il y a cinq ans, la situation aurait été complètement différente, car nous ne disposions pas des moyens technologiques nous permettant d'utiliser cette plate-forme virtuelle.

Comment avez-vous trouvé le travail collaboratif lorsque vous travailliez à la maison?

Je suis 'old school'. Pour moi, c'était difficile parce que je devais être fixée à mon écran d'ordinateur pour parler à mon équipe. J'ai trouvé cela très difficile, mais certains membres de mon équipe ont aimé cela. Nous avons réussi à collaborer très efficacement et ils ont été formidables. Ils ont travaillé très fort à la maison et je n'ai jamais eu à m'inquiéter une seule fois de leur travail et de leur productivité. Je suis vraiment privilégiée de travailler avec des personnes aussi formidables.

Quelle est la plus grande leçon que vous avez apprise au cours de votre carrière?

Je ne suis pas certaine que les personnes qui se lancent dans ce domaine aujourd'hui soient si passionnées par ce métier. Ils peuvent penser qu'ils aiment ça, mais c'est un chemin et une carrière difficile. Cette carrière de designer a été largement démocratisée par toutes les émissions de rénovation à la télévision.

Si je devais partager une chose, ce serait de vous assurer que vous aimez le design. Cela doit être votre véritable passion, car ce métier est extrêmement exigeant. Soyez également honnête avec vous-même et voyez si vous avez du talent.

Vous recevrez des critiques sur votre design et cela vous touchera au plus profond de votre âme, car c'est vous qui donnez vie à cette vision. Quand vous êtes un jeune designer, vous le prenez très mal. Au fur et à mesure que vous mûrissez en tant que designer, votre philosophie est qu'il existe de nombreuses solutions à un problème de design, et c'est notre travail de trouver la solution qui vous convient et qui convient aussi à votre client. Il faut apprendre à avancer.

À quoi attribuez-vous votre succès?

J'ai travaillé avec des personnes formidables au fil des années. J'ai travaillé avec une femme nommée Susan Reed pendant 25 à 30 ans et nous formons une équipe formidable ; elle est tellement talentueuse. Si elle ne faisait pas partie de mon équipe, je ne pense pas que je serais aussi bonne.

J'ai aussi une très bonne équipe. J'ai pu choisir des personnes vraiment sympathiques qui ont enrichi notre équipe. Ceci est primordial, car vous ne pouvez pas tout faire par vous-même. J'ai toujours un sens de l'intuition auquel je fais confiance et qui fonctionne pour moi, mais il faut une équipe solide pour bien mener les projets. De plus, j'ai entretenu de bonnes relations avec mes clients au fil des années.

Quelle est la chose que les gens seraient surpris de savoir sur vous?

Je suis passionnée du golf; je suis obsédé par le golf. Si je ne joue pas assez, je suis dans un état dépressif. Je fais partie d'un club de golf où les téléphones cellulaires sont interdits sur le terrain. J'ai l'impression d'être complètement déconnecté. J'aime aussi le bel environnement et la verdure.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes designers?

Assurez-vous que vous aimez vraiment ce domaine, car c'est un travail très difficile. On ne se rend pas compte de la quantité de travail nécessaire avant de commencer à travailler dans ce secteur.

Si vous aimez le monde du design mais que vous n'êtes pas le plus créatif, travaillez sur vos points forts. Vous serez peut-être le meilleur gestionnaire de projet, ou peut-être vraiment bon dans les détails. Vous serez beaucoup plus satisfait de votre travail si vous travaillez sur vos points forts.

Qui admirez-vous le plus chez les autres designers?

J'admire tous ceux qui ont réussi à rester dans le même secteur pendant si longtemps. C'est un travail ardu. J'en suis à ma 37e année en tant que designer et à mes 29 ans avec ma propre entreprise!

Pensez-vous que la COVID va entraîner des changements majeurs dans notre secteur au cours des cinq prochaines années?

Nous allons avoir un choc l'année prochaine. Les gens ne voient pas les choses de la même façon que moi. Je déteste être pessimiste, mais je vois une grosse récession se diriger vers nous parce que le monde, la chaîne d'approvisionnement et cette explosion résidentielle touchent à leur fin. Beaucoup de gens ont déjà dépensé leur argent disponible. Les personnes qui veulent réaliser des projets doivent faire face à des incertitudes telles que les chaînes d'approvisionnement, les délais et les coûts. Il y a trop de facteurs inconnus. La COVID a participé à ce changement parce que les chaînes d'approvisionnement ont été perturbées. Nous ressentons encore les effets de ces changements et cela va nous affecter à l'avenir.

Qu'est-ce qui vous inspire?

Voir d'autres belles choses m'inspire. La qualité de design qui existe aujourd'hui est spectaculaire. En tant que designers, nous sommes constamment amenés à nous juger et à nous situer par rapport aux autres designers. Il y a tant de talent, tant d'intelligence, et cela m'inspire.

Avez-vous des villes qui vous inspirent?

Je suis une fille de New York, j'adore cette ville. Mes parents sont originaires de cette ville et j'ai grandi en y allant tout le temps. J'aime aussi Los Angeles, Rome et Paris. Pour moi, Paris n'est pas tant une ville de design qu'une belle ville que l'on peut simplement apprécier. J'aime aussi aller à Londres, où l'on ressent une ambiance extraordinaire.

Pour en savoir plus sur Bess Pappas, Présidente et directrice de la création chez Pappas Design Studio Inc., visitez le site web ci-dessous : www.pdstudioinc.com