LES ENTREVUES ITALBEC

Pourquoi avez-vous décidé de devenir une designer intérieure?

J'ai toujours eu l'impression d'être dans le design. Quand j'étais jeune, je ne savais pas vraiment ce que faisait un designer intérieur ou ce que cela signifiait, et ma famille non plus. Je n'avais pas de nom pour cela, mais je pratiquais sans le savoir depuis que j'étais enfant.

En grandissant, nous avons beaucoup déménagé. Ma mère était constamment à la recherche d'un meilleur loyer, dans un quartier plus sécuritaire. Le fait de déménager m'a permis de comprendre comment me défaire de ce dont je n'avais pas besoin, et ce qui n'avait pas d'utilité à me suivre. Bien sûr, cela m'a donné l'occasion additionnelle d'établir la répartition des meubles avec ma mère, et de décorer les appartements de sorte que mes frères et moi nous sentions excités d'être à nouveau dans un nouvel endroit.

La curiosité de vivre mieux, à la maison avec une famille complète, dans un espace bien réalisé, ne m'a jamais échappé. Parce que je ne l'ai jamais vécu, j'ai passé beaucoup de temps à y penser.

Lorsque j'ai annoncé à ma famille que j’abandonnais mes études d'art à Concordia pour étudier le design, peu après le décès de mon père, tous les membres de ma famille ont semblé déçus. Il y avait beaucoup de personnes en colère à la table cette soirée-là. Ils avaient peur que le design ne soit pas une carrière lucrative. Curieusement, j'ai eu une conversation au sujet du design une semaine avant le décès de mon père - c'est lui qui m'a convaincue de m'inscrire à des études de design intérieur. Après avoir obtenu mon diplôme en 2007, j'ai travaillé pour des entreprises très réputées où j'ai rencontré des collègues incroyables qui ont également influencé le type de travail que je fais aujourd'hui. Et maintenant, avec toutes mes expériences, je me considère comme une ‘lifestyle’ designer, car je m'implique vraiment dans la vie quotidienne de mes clients. Je veux vraiment améliorer leurs routines et les aider à mieux vivre. Je veux vraiment qu'ils aient des souvenirs familiaux inoubliables, dans une maison que je les aide à construire.

Quand avez-vous lancé votre propre entreprise ?

J'ai commencé mon entreprise en 2013. C'était sous le nom de Geneviève Ghaleb Interior Design. Je ne voulais plus avoir mon nom sur la porte car je savais qu'éventuellement, j'allais me retrouver en partenariat avec quelqu'un. Je savais qu'un collectif de personnes contribuerait toujours à un meilleur résultat final qu'une seule personne. Quelques années plus tard, j'ai renommé mon entreprise à XY Contemporary.

Même avec la croissance que je prévoyais pour XY, il était important pour moi de toujours rester la designer principale. J'ai travaillé très fort pour distinguer mon style dans cette ville et être embauchée pour cela. J'ai surmonté ces défis, toute seule. Mais je n'oublierai jamais cette période et les difficultés qui ont accompagné le lancement de cette entreprise ; il y en a eu pendant des années. Je suppose que l'on peut dire que, parce que j'ai fondée XY, je me sentirai toujours protectrice de cette entreprise et de l'esthétique de la marque. C'est pourquoi il n'y a pas un seul design, une seule texture ou un seul meuble sur un projet qui ne soit pas entièrement sous ma direction.

Une chose que beaucoup ne savent pas, c'est qu'en 2016, j'étais sur le point d’abandonner, pour de bon. J'ai pris environ deux ans et plus de congé ; personne ne le savait vraiment. Lorsque j'ai recommencé, j'ai ressenti la douleur de me réinsérer dans ce secteur et dans cette ville, pour la deuxième fois. C'était difficile, mais je l'ai fait.

J'ai décidé d'approcher Bella Astor, une designer vedette dont j'avais tant entendu parler. Une parfaite inconnue avec une expérience professionnelle exceptionnelle dans des firmes de design internationales. Heureusement, elle a accepté. Et maintenant, je ne peux pas imaginer XY sans elle.

Elle est tout le contraire de moi. Notre partenariat est vraiment le yin et le yang. Nous réalisons des parties différentes du travail, mais ensemble, nous sommes explosives. Nous ne sommes pas seulement des partenaires maintenant. Nous sommes bien plus que cela. Elle est là pour moi dans tous les domaines de la vie - plus que je n'aurais jamais pu l'espérer. Elle fait partie de ma famille.

Pourquoi avez-vous renommé votre entreprise XY Contemporary ?

Lorsqu’on créé un design dans AutoCAD, XY représente l'axe. De même, XY caractérise le chromosome masculin. J'aime le jeu de mots que cela représentait pour moi. Il correspondait à mon esthétique plutôt masculine et aux lignes pures et linéaires que j'aime dans le design contemporain.

À l'époque où j'ai changé de nom, j'avais beaucoup de clientèle masculine et ils étaient tous minimalistes, comme moi. Instagram se popularisait aussi, et j'adorais voir les projets des autres professionnels. Mais je me suis vite rendu compte que j'étais la seule femme designer parmi tous ceux que je connaissais, qui publiait des intérieurs hyper minimalistes avec des détails très architecturaux. J'ai reçu beaucoup de réactions négatives. Comme j'aimais les intérieurs contemporains bien taillés, avec des palettes neutres, contrairement aux femmes designers que je connaissais, j'ai pensé que cela devait signifier que j'avais une esthétique masculine.

Mais en réalité, je préférais le design qui apaise l'anxiété, vivre dans la paix et le calme avec des intérieurs monastiques apaisants. Depuis, beaucoup plus de femmes ont émergé chez XY avec des désirs minimalistes et un œil pour des palettes discrètes et raffinées. Nos clientes ont un goût exceptionnel et ont réellement influencé mon travail et la direction de mon design aujourd'hui.

Quelles ont été les aspects les plus difficiles que la covid-19 vous a apportées personnellement et à votre entreprise ?

L'un des aspects les plus difficiles de la COVID a été le travail à la maison, tant sur le plan personnel que professionnel ; cela a eu un impact énorme sur moi car je n'ai jamais aimé travailler à la maison. J'ai une équipe de six personnes et le fait d'aller au bureau était un incroyable lieu de créativité où nous pouvions 'lancer la balle' et discuter des idées. Soudainement, il y a une fermeture, un confinement, un couvre-feu, et chacun est contraint de rester près de son bureau ou de la table de sa cuisine, 24 heures sur 24. Ce lieu de refuge, qui est votre maison, ce lieu où vous venez vous détendre à la fin de la journée, est aussi devenu le lieu de stress et la source du travail. Personnellement, travailler seule toute la journée dans un espace calme et devoir se limiter à des vidéoconférences a été extrêmement éprouvant pour ma santé mentale. D'un point de vue professionnel, il était également très difficile de rester concentrée, créative et optimiste pour mes clients. Je suis heureuse d'avoir eu mon chien Pepper, car cela m'a obligée de la promener dehors. Je devais la faire courir et jouer avec elle. Je devais être excitée de lui lancer une balle. Ce genre de choses change notre perspective. Ça remonte le moral.

Avez-vous eu des difficultés à effectuer votre travail avec les membres de votre équipe?

Nous ne sommes pas dans un environnement qui pourrait être séparé. Le design est une collaboration, c'est complexe, c'est long, c'est difficile. C'est un dialogue constant d'aller-retour de créativité. Nous avons constaté une baisse de la motivation et de la productivité. Aucun des membres de mon équipe ou de mes employés m'a exprimé ses difficultés psychologiques de travailler à la maison, mais j'ai pu constater que cela nous affectait tous. Le rythme plus lent pouvait naturellement avoir un impact sur la créativité et la qualité du travail. Mais je suis fière de tout le monde. Nous y sommes arrivés. Nous avons respecté nos délais. Et pas un seul membre de l'équipe ne s'est plaint. Je les aime.

Vous avez réalisé principalement des projets résidentiels. Avez-vous dû adapter votre façon de concevoir les maisons à cause de la covid-19?

C'était étrange pour moi d'entendre tant de personnes dire que la covid-19 a appris à tout le monde de travailler à la maison et à adopter son bureau à la maison. Les domiciles ne sont pas des lieux de travail, ils ne sont pas des bureaux à la maison. Il est évident que la pandémie nous a tous forcés de travailler à la maison, n'est-ce pas? Devrions-nous rendre ces environnements à la maison plus confortables? Bien sûr. Devrions-nous mettre toute l'importance de ce que nous avons appris sur la covid-19 et le design intérieur sur les bureaux à la maison? Absolument pas. Ce que je vois comme un changement, c'est ce besoin de luxe.

Je pense que nous nous sommes tous rendu compte que nous avions peut-être pris pour acquis notre style de vie luxueux consistant à prendre un verre dans un beau bar après le travail, ou à manger des plats parfaitement préparés dans des restaurants au design époustouflant. Je pense que nous avons tous manqué le LUXE.

Dans le domaine du design résidentiel, nous allons voir beaucoup plus de raffinement et de détails sophistiqués. Il s'agit de ramener à la maison ce type de ' pétillement '' que nous remarquons dans les halls de nos hôtels préférés, lorsque nous voyageons.

Dans le domaine commercial, je pense que la tendance au design décontracté des restaurants 'do-it-yourself' pourrait commencer à disparaître, car de plus en plus de personnes souhaitent se trouver dans un environnement élégant, bien planifié et soigné.

Quelle est la chose dans votre routine matinale que vous ne pouvez pas abandonner ?

J'ai vécu en banlieue une grande partie de ma vie. Curieusement, j'ai commencé à aimer le trajet du matin pour aller travailler. C'était mon moment de tranquillité. Personne ne m'appelait ou ne me dérangeait et j'écoutais mes playlists habituelles de musique classique. Maintenant que j'habite plus près du travail, je mets toujours mon téléphone en mode avion et j'écoute un livre audio ou de la musique - je m'en sers comme motivation pour la journée. Oh, et le café. Le café du matin avec Bella, ma partenaire de travail, est essentiel à ma journée!

Quels sont les éléments qui sont et seront incontournables pour les espaces extérieurs en raison de la situation mondiale ?

J'espère que la ville va commencer à considérer les espaces extérieurs un peu plus que précédemment. Si vous faites un tour sur Mont-Royal, vous allez voir un grand nombre de personnes sur le Plateau, sur le gazon et sur le sol. Où sont toutes les tables de pique-nique ?

Covid-19 nous a montré que beaucoup de gens étaient tellement tannés d'être enfermés chez eux, qu'ils voulaient aller dehors. Profiter d'un repas avec sa famille et ses amis est contraignant pour des personnes comme ma mère ou toute autre personne qui ne peut pas s'asseoir sur le gazon pendant des heures. J'espère que la ville va commencer à intégrer des espaces publics pour manger et s'asseoir.

Comment pensez-vous que la covid-19 va influencer le design dans les 5 prochaines années ?

Récemment, nous avons réalisé le design d'une chaîne de restaurants et le propriétaire tenait absolument à placer un morceau de plexiglas là où il y avait des banquettes. Je n'étais pas sûr de cette idée car je crois que mes pensées ne sont plus liées à la covid-19. Je ne pense pas que les mesures relatives au plexiglas ou à tout autre système de séparation seront maintenus. Beaucoup de gens ont tellement envie d'être à nouveau ensemble. Pour l'instant, la seule chose que je pense du design intérieur par rapport à covid-19, c'est que les gens vont renoncer à être aussi décontractés. Honnêtement, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup plus que cela, ou peut-être que c'est juste une pensée optimiste.

Quelle est la plus grande leçon que vous avez apprise dans votre carrière ?

La plus grande leçon que j'ai apprise au cours de ma carrière a été de ne pas avoir reconnu ma propre valeur. En tant que femme dans le secteur de la construction, c'est la première chose que j'aurais dû faire et c'est la première chose que je dis maintenant aux étudiants, lorsque je leur parle. Sachez qui vous êtes, ayez confiance en vous, connaissez votre valeur et défendez votre point de vue. Cela vous vaudra le respect des clients et de vos collègues.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes designers?

Je ne pense pas avoir appris grand-chose à l'école de design. En même temps, je trouve que c'est essentiel et indispensable pour être un bon designer. L'expérience pratique est ce qui vous apprend tout.

Je n'ai jamais l'impression de tout savoir. Parce que même avec des expériences professionnelles incroyables, j'ai encore tellement à apprendre. Jeunes designers, vieux designers, nous devrions toujours nous sentir comme des étudiants dans notre métier. Apprendre plus chaque jour. Se perfectionner davantage, chaque jour. Vous êtes un étudiant de votre carrière, de votre métier et de la vie à tout moment, car cette équité va vous garder humble et vous aider à grandir. La croissance va vous aider à devenir un meilleur designer et les gens vous verront complètement différemment.

La seule erreur que je vois tout le monde faire est de ne pas être assez confiant ou d'avoir trop de confiance en soi. Vous devriez vous situer quelque part entre les deux : vous connaissez votre valeur et vous savez ce que vous faites, mais vous n'êtes pas un artiste inapprochable.

Quelle est la chose que les gens sont généralement surpris d'apprendre sur vous ?

On pourrait me considérer comme très sociable, pétillante au bureau ou avec des amis ; en réalité, je suis quelqu'un de très privé. Je ne parle pas de ma vie personnelle et je n'aime pas que les autres partagent mes affaires privées, peu importe leur nature. C'est à moi de les partager et à moi seul. Une grande partie de ma vie a été rendue publique en grandissant. Je n'ai jamais aimé ça. Alors maintenant, j'apprécie de pouvoir avoir une vie privée.

J'ai dû demander à mon équipe ce qui est surprenant de moi, et ils ont tous eu la même réponse. J'écoute beaucoup de musique classique. Ces temps-ci, j'aime beaucoup Olivia Belli ; c'est une compositrice italienne et elle est incroyable. Elle commence ma journée et la termine parfaitement... mais sur une playlist de grands compositeurs comme Vivaldi ou Olivia Belli, vous allez probablement entendre Jesus Walks de Kanye West. Mon équipe est choquée par ceci; au plus profond de leur être. J'ai une très grande admiration pour Kanye West. Honnêtement. Pour une raison quelconque, tout le monde est choqué d'entendre ça aussi. Il n'y a rien que cet homme puisse faire de mal à mes yeux, même avec toutes ses controverses - je suis une fan inconditionnelle de Kanye West. Il est brillant et c'est un génie créatif. Il l'est vraiment. Oui, je n'approuve pas forcément certaines de ses décisions personnelles, mais je ne le juge pas, étant donné ses problèmes de santé mentale.

Dans quelles fondations êtes-vous impliquée ?

J'ai été impliquée dans de nombreuses fondations comme Starlight for Kids, Hope and Cope, qui était la division des jeunes adultes atteints de cancer de l'Hôpital général Juif. Maintenant, je suis impliquée dans un plus petit groupe. Originaire de l'Ontario, ce groupe s'appelle Designing Back. Celui-ci a été créé par une autre designer, Alison Habermehl. Son objectif principal est de redonner aux communautés. Elle a réuni un groupe de créatifs, pas nécessairement des designers, mais toutes sortes de créateurs qu'elle connaissait et qui avaient beaucoup de ressources et de contacts. Lorsqu'elle trouvait une cause ou un besoin à soutenir, nous mettions en commun toutes nos ressources et trouvions un moyen de contribuer de manière significative.

Récemment, nous avons sensibilisé le public et collecté des fonds pour PCL, Parents for Community Living, à Waterloo, en Ontario. Il s'agit de parents qui ont des enfants handicapés. Le gouvernement ne les finance pas pour qu'ils puissent rester à la maison et s'occuper de leurs enfants. Ces parents doivent quitter leur emploi pour s'occuper de leurs enfants, ce qui met leurs finances en péril. PCL fournit un hébergement et des soins à ces enfants, ce qui leur permet d'avoir une excellente qualité de vie et permet aux parents de passer du temps avec les autres membres de leur famille.

Quelle est votre source d'inspiration ?

Voyager est ma source d'inspiration. Mon cerveau est constamment en mode créatif ou en mode travail. J'ai besoin d'être dans un autre fuseau horaire pour que mon cerveau se ferme et soit en paix, heureux, inspiré et qui profite du moment présent. Surtout quand je vais en Italie; je ne sais pas ce qu'il y a en Italie, mais quelque chose de ce pays me donne l'impression d'être à la maison. C'est là où je me sens le mieux, ce qui est un peu cliché à dire, mais c'est vrai. Je me sens si heureuse, si détendue et en paix ; l'inspiration est littéralement présente du sol aux murs, jusqu'au ciel. Il y a des éléments naturels et artificiels qui sont tout simplement exceptionnels. C'est difficile de ne pas se sentir inspiré.

Pour en savoir plus sur Genevieve Ghaleb, designer principale chez XY Contemporary, visitez le site web www.xy-contemporary.com